Avant-propos

Maîtresse... Au cœur de l’école primaire

Au fil du temps et avec le recul, si je considère la trajectoire de mon parcours de photographe, je dois bien admettre qu’elle est plutôt singulière, pour ne pas dire exceptionnelle. Semée d’opportunités et de rencontres hors du commun, mais aussi de volonté et de travail, j’ai ce privilège, en tant qu’autodidacte, d’exercer ce métier au quotidien, avec une passion qui s’est révélée sur le tard. Que ce soit dans le cadre de mes emplois successifs ou de mes projets personnels, cela m’a permis d’observer et de prendre des photos sous plusieurs angles. Celui des conflits armés à l’étranger lorsque j’étais militaire ; celui des chefs d’États, des rois et autres personnalités lorsque j’évoluais comme photographe officiel à la présidence de la République ; enfin sous l’angle de sujets les plus variés, en fonction de la demande. Malgré la diversité et l’originalité de certains reportages que j’ai pu couvrir, le naturel m’a toujours rattrapé. Lorsque je parle du naturel, j’évoque l’enfant, celui qui sommeille en chacun de nous... Il m’interpelle sur le choix du sujet, sur le thème de ce livre plus précisément. Après une longue réflexion que je dois en partie à Nathalie Lafont, professeure des écoles passionnée, mon regard s’est posé sur les « Petits ». Prévisible lorsqu’on s’appelle Klein (qui signifie petit en allemand). Pas seulement ! Les enfants sont l’avenir d’un pays et les poumons d’une nation. Ils n’ont guère la possibilité de s’exprimer comme les adultes et, le cas échéant, leurs opinions ne sont guère prises en considération. Nous ne laissons jamais assez de place aux enfants dans notre quotidien. Il me restait à définir l’angle de mon reportage, à trouver la racine du projet, le lieu... De toute évidence, il débutera « au cœur de l’école primaire ».


L’école primaire. Un sujet ô combien délicat ! A l’évidence, je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine. Peu importe. La curiosité et l’investigation vont de pair. Relever les manches et m’investir objectivement, tel est mon leitmotiv. Tous ces moments, ces journées passés avec les élèves afin de faire entrer le lecteur dans leurs classes seront illustrés par mes photographies. J’aspire ainsi à mettre en avant les valeurs fondamentales et universelles dispensées dans l’école de la République. Elles sont perceptibles au sein de toutes les familles. Qui ne se souvient de ses débuts sur les bancs de l’école, de l’apprentissage – laborieux ou pas – des tables de multiplication et de la conjugaison, des récréations toujours trop courtes, des goûters partagés entre copains, des sorties de classe ?
En arrivant à l’école Notre-Dame de Villeneuve d’Aveyron pour faire connaissance avec l’équipe éducative, l’accueil qui m’a été réservé fut chaleureux. Voilà quelques années déjà que mes enfants ont quitté l’école primaire. J’ai donc redécouvert , progressivement, l’organisation des classes, la cantine, l’infrastructure et, au fur et à mesure de mon repérage, l’ampleur et l’étendue du sujet à traiter. Afin de rester le plus cohérent possible dans la conception dudit projet photographique et de cerner au mieux la progression de l’école, je me suis résolu à la suivre sur l’ensemble d’une année scolaire, au rythme des quatre saisons. Au-delà de la touche poétique que cela confère, c’est avant tout un repère-temps qui me semble essentiel. C’est avec ce regard altruiste, candide mais sincère, que j’ai souhaité concevoir cet ouvrage photographique et aller ainsi au bout de ma curiosité.

Puis est venue se poser la question : « Mais pourquoi faire un livre photos sur l’école primaire ? ». Pour au moins deux raisons... Il y a une quinzaine d’années, à mes débuts, et certainement en guise d’encouragement, ma femme m’a offert un livre de Robert Doisneau, Les doigts tachés d’encre. En le feuilletant, je m’étais promis de réaliser un jour un livre traitant de ce sujet avec un regard forcément différent mais permettant à chaque lecteur de se rappeler ces moments insouciants de la vie. Aujourd’hui encore je me plais à relire cet ouvrage, ces photos illustrant l’école et les valeurs d’une époque révolue. Si ma raison première revêt un caractère plutôt artistique, la seconde révèle un aspect plus engagé. J’entendais régulièrement les médias faire écho à tel texte de loi censé améliorer le précédent, etc. Pour être franc, à cette époque, je ne me souciais guère des réformes de l’école. Une information pourtant éveilla ma curiosité, celle des chiffres liés à l’échec scolaire au sein de l’école primaire. Dans un rapport du Haut Conseil de l’éducation, publié en 2007 par l’Institut Montaigne et mettant en évidence les mécanismes qui produisent l’échec à l’école, je lisais : « L’échec scolaire à l’école primaire est une bombe à retardement pour notre société : quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du cm2 avec de graves lacunes ; près de 200 000 d’entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul ; plus de 100 000 n’ont pas la maîtrise des compétences de base dans ces domaines ».

Je m’interroge sur l’efficacité de la méthode d’apprentissage et des moyens actuellement investis dans les cycles maternelle et élémentaire de nos écoles. Sont-ils adaptés aux besoins de nos enfants et répondent-ils à leur devenir ? La notion de temps revient de manière récurrente au cœur des discussions. Le constat est irréfutable : le temps fait cruellement défaut, à tous les échelons de l’apprentissage. Jean-Jacques Rousseau écrivait déjà au XVIIIe siècle : « La plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation, ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre ». Tout un programme dans notre société contemporaine.
Aujourd’hui, mon fils Alexandre, 18 ans, entame sa première année de droit à l’université. Son frère de 16 ans, Nicolas, a quant à lui choisi l’apprentissage ; il explore les voies du compagnonnage. Si je me réfère aux statistiques nationales, tous deux appartiennent aux 60 % d’élèves qui ont obtenu des résultats scolaires acceptables ou satisfaisants. En tant que père, je suis satisfait de leur choix dans la poursuite de leurs études. En tant que citoyen, je reste perplexe quant aux perspectives d’avenir et d’emploi des 40 % de personnes (des milliers d’individus) affectées par l’échec scolaire.

Maîtresse... Au cœur de l’école primaire est un livre transgénérationnel ; il retrace les temps forts d’une année scolaire. Son but est de mettre en lumière le quotidien des écoliers. Il se propose de raviver la nostalgie de nos années passées à l’école primaire : beauté émouvante de regards insouciants, espiègleries de la « récré », application en classe. En compagnie de ces enfants, le lecteur (re)visitera le musée des Écritures de Figeac, le musée Toulouse-Lautrec d’Albi, Fenaille à Rodez, ou encore Pech Merle et ses peintures rupestres à Cabrerets. Nos lointains souvenirs rendront ce voyage plus sensible encore.